COVID-19 AU PAYS TOURA (Côte d’Ivoire) en avril 2020

Recherche-action et désenclavement linguistique en Afrique

« Dans le contexte africain, les langues locales, langues de socialisation des peuples en milieu rural, restent encore les seuls canaux pertinents porteurs des stratégies linguistiques pour aboutir à la compréhension profonde de leurs locuteurs que ce soit dans le domaine de la santé ou du développement.

Partant, pour contrer ou stopper l’avancée du COVID-19, dans une Afrique perçue d’avance comme étant le continent le plus menacé du fait de l’insuffisance de ses dispositifs sanitaires, la transmission des mesures barrières dans les langues locales apparaît comme un impératif du plus haut degré dans les approches de l’éradication de la pandémie. »

Joseph Baya, rapport de l’enquête IITBLD sur COVID-19 au pays toura

Comme toutes les régions reculées de l’Afrique rurale dont nous avons eu des échos, les villages épars à travers les Monts Toura sont au diapason de la peur (sinon de la terreur !) à l’annonce d’une nouvelle catastrophe de santé. Il y a cinq ans, la Côte d’Ivoire avait été épargnée par l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest qui se propageait avec la fureur d’un feu de brousse. Déclarée à proximité, à quelques kilomètres de la frontière, ayant fait des milliers de victimes dans les pays voisins à l’ouest, il n’y en eut pas sur territoire ivoirien. Cinq ans plus tard, encore sous le coup de la menace à peine éludée, la crainte s’installe, surtout qu’aux règles d’hygiène familières – dont l’interdit de la consommation de viande de brousse – s’associe un fait qu’on ne peut pas en toute honnêteté taire, à savoir qu’il n’y a encore aucun médicament contre le nouveau virus. Information qui rappelle celle qui s’était avérée juste dans le cas de l’Ebola et qui fait penser qu’une maladie contractée sous le nom de COVID-19 aura des conséquences nécessairement fatales. Le COVID-19, en accord avec sa désignation courante en langue toura comme bhàyúá yóo ‘maladie dangereuse’, est classé sur l’échelle locale des torts de santé comme mal incurable. Pour échapper coûte que coûte à un risque mortel perçu comme plus ou moins imminent, de nombreuses personnes ont recours à la prophylaxie par automédication. Même les chefs de village les mieux informés sont à court d’arguments face au foisonnement de fausses rumeurs et de recettes qui se propagent par le canal des médias sociaux ou de bouche à oreille. Il s’agit de produits naturels utilisés par exemple comme remèdes de fortune contre le paludisme, mais aussi de concoctions curatives fortement alcoolisées qui font courir aux gens de graves risques de santé, voire même de danger de mort.

Une enquête menée dans quatre villages toura par nos collaborateurs de l’IITBLD (Institut Ilse et Thomas Bearth de Langues et Développement, Man) dans la semaine débutant le 30 mars 2020 (voir la carte) autorise un constat à première vue surprenant : le message de prévention du COVID-19, diffusé par les média, la télévision et surtout la radio nationale, a été assimilé partout à tel point que sur demande, le catalogue des mesures-barrières est mécaniquement égrené par les interlocuteurs, hommes ou femmes. En revanche, sa mise en pratique varie d’une communauté à l’autre. Dans un des villages, l’application de la règle de distanciation ne s’arrête pas devant la porte de la case familiale, avec des effets ambivalents sur les relations entre proches. Dans un autre, l’empiètement des mesures sur l’enceinte familiale est rejeté d’emblée par les interlocuteurs des deux sexes.

L’occultation pesant sur la compréhension des raisons et des effets des mesures et sur la nature du danger – ce dernier subsiste malgré les efforts de prévention – risque de plonger les communautés rurales dans l’insécurité, risque renforcé par l’illettrisme démuni en face de la pléthore des informations à gérer, des questions qu’elles ne manquent pas de soulever et des réactions divergentes qu’elles suscitent. La crise de santé est ainsi en passe de se doubler d’une crise communicationnelle : « Tout ce que nous cherchons, c’est l’information bonne », insistent les femmes du village de Dio, en mettant le poids sur le mot sɛ̀ ‘bon’.


Dio
À l’entrée de la case du chef
Même installation qu’en ville

Dio
Les femmes insistent : Nous voulons la vraie information !

Femmes de Blégouin
Respect de la distanciation

 


Hommes de Kokéalo
Conseil des sages

Hommes de Yorogoué
Bien informés

Femmes de Yorogoué
Bien informées elles aussi

 

Verena Schaufelberger

Présidente Initiative Monts Toura

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